vendredi 2 novembre 2012

DIGNE - GEOLOGIE - LA NAPPE DE DIGNE


DIGNE - Dalle garnie de coquilles d'Ammonites

 

Dalle garnie de coquilles d'Ammonites (Arietites, en prédominance) : Sinémurien, vallée de la Bléone au nord de Digne.
Le marteau donne l'échelle.

 

LA NAPPE DE DIGNE

 La semelle de la nappe de Digne est constituée par les argilites dolomitiques jaunes et pourpres du Trias supérieur, à la base desquelles on trouve une lame discontinue, épaisse de 1 à 10 mètres de gypses et/ou de cargneules.
 

Le Trias, à la base de la nappe de Digne

Sommet des ravins de Rousset, au nord de la crête de Beilet (vue prise en direction du nord-est).

Les gypses qui soulignent la surface de charriage (ØD) sont masqués sous le talus d'éboulis et ne sont visibles que dans les fonds de ravines.
(Une petite faille extensive, de rejet décamétrique, décale la limite Rhétien-Keuper).

 

Cadre régional de la nappe de Digne

- au Lias-Dogger la constitution stratigraphique de ces unités montre du nord au sud des variations très semblables : on y passe de séries très épaisses, du côté est, à des séries de plus en plus réduites, du côté ouest.


Colonnes stratigraphiques comparées du Jurassique


Séries stratigraphiques observables essentiellement en rive gauche de La Durance, dans l'ordre de leur succession originelle, d'ouest (à gauche) en est (à droite).

La colonne de droite correspond à celle de la nappe de Digne, celle immédiatement plus à gauche aux lobes chevauchants qui la jouxtent à l'ouest. Les deux plus occidentales sont celles des "séries réduites" autochtones.


La Nappe de Digne et les structures connexes

Les déformations tectoniques des chaînons de Digne et des chaînons au NE de Sisteron sont fondamentalement liées à la formation et de l'évolution de l'entité structurale majeure que constitue la nappe de Digne.

La nappe de Digne est une puissante dalle rocheuse (de l'ordre de 5000 m d'épaisseur totale, y compris le Tertiaire du sommet de sa succession), qui inclut d'Ouest en Est tout le secteur s'étendant de Digne (ou de Turriers), à la basse vallée de l'Ubaye, où la nappe de Digne s'enfonce, vers le NE, sous les nappes subbriançonnaises.
Son chevauchement, vers le SW, se manifeste, dans la nature actuelle, par le fait que l'on voit, en règle générale, s'enfoncer les couches de son autochtone sous une lame de matériel triasique, riche en gypses, qui représente la base de la succession de la nappe et la souligne. L'individualité de cette nappe par rapport à son autochtone est, en outre, bien caractérisée par l'opposition entre la grande épaisseur de sa succession des couches du Jurassique inférieur et moyen (de l'ordre de 2000 m) et la réduction de la même succession (0 à 200 m) dans l'autochtone.
En marge sud-ouest de la nappe, son autochtone est débité par des déchirures et des chevauchements qui y découpent, sur une frange d'une largeur décakilométrique, une succession d'écailles*, ou "lobes" chevauchants.


Carte schématique du cadre régional de la nappe de Digne


1, affleurements du Jurassique inférieur et moyen, épais et hémipélagique, caractéristique de la nappe de Digne.

 2, bord d'érosion de la nappe.

 3, zones d'écrasement par plissement el cisaillement dextre relayant le charriage.

 4, fronts de chevauchement et coulissements majeurs créés par l'avancée de la nappe.

 5, domaine à affinités provençales.

6, chevauchements majeurs entre les domaines provençal et subalpin.
R = dôme de Remollon ; T = Turriers ; B = demi-fenêtre de Barles ; Bm = Barrême.


Traits essentiels de la tectonique de la nappe de Digne et des structures connexes.

La synthèse des observations des divers auteurs (et notamment de l'auteur du site "geol-alp") conduit à se faire de la tectonique de la nappe de Digne une image dont on peut résumer les points particuliers comme suit :

1 - La nappe s'enracine vraisemblablement dans un accident de socle à peu près N-S, formé au Jurassique par l'expansion océanique alpine.
Cette cassure a joué en coulissement extensif au début du Tertiaire. Cette phase d'extension du Nummulitique a été à l'origine de la rupture de la couverture sédimentaire par une déchirure en pull-apart (agrémentée de montées diapiriques). Cela a conféré au futur front de la nappe un découpage en redents successifs, profonds de plus de 5 km chacun, limités par des cassures alternativement N160 à N170 et N30 à N40.



Schémas montrant le découpage du contenu de l'hémigraben par un jeu en pull-apart (à l'origine de montées diapiriques) à l'oligocène précoce (étape B), avant le décollement et l'imbrication de la couverture (étape C)
extrait de la publication n° 183 (Présentation retouchée)

Cet accident a acquis un jeu compressif (en fait décro-chevauchant) dès l'Oligocène. Le détachement de la tranche charriée s'est ensuite fait, en profondeur, en faisant rejouer (mais en faille inverse) l'ancien accident du socle. Dans la tranche de la couverture post-triasique, ce détachement s'est fait le long des zones de faiblesse qui ont pu correspondre, selon les transversales considérées, soit au secteur du plus grand amincissement des séries (crête du bloc basculé jurassique) soit (le plus souvent) à la déchirure coulissante créée au Paléogène (ceci est à l'origine du détachement d'écailles, ou"lobes", à la marge avant du charriage.
Ces deux "rampes" de chevauchement, obliques aux couches ("profonde" et "superficielle"), sont raccordées par un "palier" de longueur décakilométrique où la surface de chevauchement suit le niveau du Trias supérieur, riche en argilites et surtout en gypse.

2 - De l'une à l'autre des étapes de déformation la direction de raccourcissement est restée orientée N20 à N30. Cette obliquité de la cassure profonde sur laquelle "s'enracine" la nappe, par rapport à son déplacement, est cause d'une déformation en transpression, par décro-chevauchement du type de celle des rampes latérales.

Ceci s'est d'abord manifesté par la formation, de part et d'autre de la marge de la future nappe, de plis N110 à N130 formant une large bande plissée en échelons. Puis lorsque la déchirure détachant la nappe a joué, sont apparus, en marge du front de charriage, des plis N170 "d'entraînement latéral" (synclinal de Barrême et plis de la marge du bassin de Valensole à l'ouest de Digne). Ces derniers sont toutefois plus ou moins contemporains de la fin de l'évolution des plis N110 à N130, avec lesquels ils se connectent parfois en continu, et se sont en fait formés depuis le Miocène jusqu'au Pliocène (ils ne sont pas nécessairement tous de même âge et les uns ou les autres ont pu apparaître et/ou se figer plus ou moins tard au cours de cette période).

Formation des principales familles de plis dans le domaine intéressé par la nappe de Digne (schémas théoriques).

La vue est à peu près dirigée du sud vers le nord. La grosse flèche indique la direction de déplacement du matériel allochtone. Les hachures correspondent au matériel Jurassique inférieur et moyen, seul représenté.

A = état après l'extension jurassique
B = plissement préliminaire (avant détachement de la nappe).
C = plissements liés au charriage de la nappe proprement dite.

 
3 - L'avancée de la nappe proprement dite sur ses écailles bordières ou sur son autochtone s'est faite au prix d'un partage en lobes autour de poinçons de l'avant-pays. Le premier de ces poinçons est constitué par le redent de Turriers, architecturé en môle résistant autour du paléo-accident du linéament de Clamensane. Un poinçonnement analogue se manifeste au sud de Barles : il a entraîné la formation d'une autre déchirure du front de charriage, la faille du Bès, qui sépare les deux lobes méridionaux (de La Robine et de Cousson) dont le comportement a été largement indépendant. L'emplacement de ce second poinçon de l'autochtone amène à l'identifier avec la terminaison en coin vers le NE du bassin mio-pliocène de Valensole.

4 - Lors du charriage le corps de la nappe n'est pas resté une dalle plane. Il a subi, en liaison étroite avec son déplacement global vers le S-SW, une déformation qui s'exprime par une torsion selon trois bandes de cisaillement dextre. La position de celles-ci par rapport aux structures de l'avant pays (écailles et autochtone proprement dit) indique qu'elles sont induites par le poinçonnement dû aux indentations de la marge est de son autochtone relatif. Ce déplacement coulissant a induit, en contrecoup, des poinçonnements symétriques, de l'autochtone relatif par le bord indenté de la nappe, ce qui est à l'origine de structures locales témoignant d'un serrage presque E-W.

Ce cisaillement a déterminé de vastes plis transverses NE-SW qui sont des flexures monoclinales à plongement accusé vers l'est. L'autochtone pincé au coeur de ces flexures a subi un accroissement de sa déformation compressive : c'est le cas dans la demi-fenêtre de Barles (pincement des plis) et dans le redent de Turriers (chevauchement des Sarces, écailles du massif de la Grande Gautière).

Schéma structural en relief des chaînons entre Gap et Digne.

Bloc tectonogramme très schématique de l'ensemble de la dalle liasique de la nappe de Digne et des lobes chevauchants qui la frangent du côté sud-ouest (la vue est orientée du sud vers le nord.)

Remarquer l'analogie de situation, par rapport au corps principal de la nappe, des différents lobes chevauchants situés en avant de la nappe. Le décalage dextre des fronts de ces lobes, les uns vis-à-vis des autres, est mis en évidence par le repère que constitue l'amincissement du Lias en direction de l'ouest - sud-ouest. Seuls les deux lobes extrêmes (lobe NW et lobe de Cousson) sont solidaires du corps de la nappe ; les lobes intermédiaires (de Valavoire et de La Robine) en sont désolidarisés.

On voit que le découpage de ces lobes est en rapport avec les inflexions cisaillantes qui affectent le corps de la nappe, mais les accidents de l'autochtone avec lesquels il est aussi en relation (faille de Turriers, faille des Monges et faille du Bès) n'ont pas été figurés ici.
(Pour plus de commentaires se reporter à la publication n°183)

Étapes successives de la déformation régionale

On peut en définitive essayer de schématiser la succession des déformations reconnues de la façon suivante (voir les figures) :

1. Extension jurassique

Pendant la sédimentation du Jurassique le jeu des blocs basculés créés par l'expansion océanique individualise deux groupes de domaines qui sont séparés par des zones de hauts-fonds instables. Le domaine oriental (patrie de la future nappe de Digne) est un hémigraben où les séries sont très épaisses ; les domaines occidentaux (futur autochtone) sont des zones peu profondes, à sédimentation néritique, qui correspondent aux parties surélevées du bloc basculé adjacent.

2. Plissement anté-nummulitique

Toute la région est affectée par les plis E-W (en fait plutôt NNE-SSW) qui ont été fortement érodés avant le Priabonien. Ils sont donc peut-être rapportables à la phase provençale mais relèvent plus probablement de celle, anté-sénonienne, du Dévoluy.

3 .Soulèvement du front nummulitique

Au début du Tertiaire un soulèvement important crée une dorsale méridienne qui est alors dénudée par l'érosion jusqu'aux Terres Noires. L'emplacement de cette dorsale, qui deviendra une limite paléogéographique importante (le "front nummulitique"), correspond aux confins orientaux de l'autochtone actuel et se calque sur le tracé de la limite occidentale du bloc de socle de l'hémigraben des séries jurassiques épaisses (de la future nappe). On peut donc sans doute voir, dans son soulèvement, l'effet d'un réajustement isostatique intéressant le secteur où la croûte avait été amincie par le fonctionnement antérieur du paléo-accident distensif (selon un schéma classique dans les domaines de basins and ranges).

À peu près au même moment s'instaure un contexte distensif, avec une direction de raccourcissement est proche de N30, qui a ouvert, à la voûte de la dorsale méridienne, une grande déchirure en pull-apart, d'orientation proche de N-S, le long de laquelle s'est disposé un chapelet de montées diapiriques. Ces dernières ont été favorisées à la fois par l'érosion de la série sédimentaire, qui crée là une zone de moindre charge lithostatique, et par la distension associée à la surrection de la dorsale du front nummulitique.

4 .Mouvements oligocènes

La mer priabonienne a atteint les confins orientaux de l'autochtone actuel, sans franchir la dorsale du front nummulitique, et a laissé rapidement place dans ce secteur à la sédimentation continentale des molasses rouges (à l'ouest de la dorsale c'est ce type de dépôt que l'on rencontre dès le début de la reprise de sédimentation paléogène). Ces molasses rouges ennoient (peut-être incomplètement ?) les paléoreliefs issus de la précédente structuration.

Avant la fin du dépôt des molasses rouges, se forment, à la limite sud-ouest de la zone de dénudation des Terres Noires du front nummulitique, des écaillages à vergence ouest, associés à la mise en place d'olistolites de jurassique supérieur et de Nummulitique basal (écailles de Faucon). Ils semblent en liaison avec le jeu de déchirures dextres N-S (faille du Grand Vallon, décrochement de Turriers, faille orientale de Vermeil) à la faveur des quelles a dû commencer à se détacher l'écaille de Valavoire et a se partager le futur front de la nappe de Digne (de part et d'autre d'un poinçon destiné à devenir le redent de Turriers).

5 .Plissement post-oligocène

Après le dépôt des molasses rouges s'instaure un régime de compression horizontale généralisée, qui s'exprime par le plissement d'axe NW-SE. Il est à noter que cela correspond à ce que l'allongement, qui était horizontal, devient vertical, mais que la direction de raccourcissement reste N30. Les plis se répartissent en une large bande de plis en échelons qui court depuis le Dévoluy jusqu'à l'arc de Castellane, le long de la marge ouest de la future nappe de Digne (ce qui indique qu'ils ont des rapports de parenté avec le futur charriage).

Avec l'accroissement du taux de raccourcissement le décollement du prisme sédimentaire de marge ouest de la nappe perce la couverture en donnant naissance aux écailles (="lobes") de l'avant-pays. À la faveur du jeu dextre de la faille orientale de Vermeil le compartiment situé au sud-est du linéament de Clamensane s'individualise en une écaille de Valavoire qui s'avance sur le Miocène de la marge nord du bassin de Valensole.
Plus au sud-est, la faille du Bès commence à fonctionner en décro-chevauchement et déborde vers l'ouest sur le bassin en induisant le détachement d'une "écaille d'Aiguebelle" à matériel oligocène, puis des amas d'olistolites de Tanaron - Esclangon.

Cette étape atteint probablement son paroxysme au Miocène inférieur (Langhien), époque, dans la vallée du Bès, de l'immobilisation du front de l'écaille d'Aiguebelle. C'est alors que se produit le violent accroissement du taux des apports continentaux, qui marque la fin de la sédimentation marine miocène dans la marge du bassin de Valensole et qui témoigne de la forte surrection de son domaine bordier (au moins oriental).

6. Début du charriage de la nappe de Digne

C'est probablement le blocage frontal des écailles qui entraîne la mise en mouvement pour son propre compte du domaine de la série épaisse, par transformation en chevauchement de la déchirure de pull-apart qui le séparait de celui des écailles. Cela s'est produit à peu près au Miocène moyen (Serravalien) car, à la latitude de Barles, c'est à cette époque que le lobe de La Robine se met en place sur la marge nord du bassin de Valensole [Gidon & Pairis, 1992].

7. Suite et fin du charriage

Le déplacement de la série épaisse s'amplifie et elle se désolidarise franchement des écailles de sa marge externe pour déborder sur elles ou pour les contourner, et ce plus ou moins largement selon les transversales mais de plus en plus amplement du nord vers le sud :

- Le lobe nord-ouest a contourné simplement l'obstacle du redent de Turriers par coulissement sénestre sur la faille du Grand Vallon et écrasé sous lui le bord interne de l'écaille de Barcillonnette - Pey-Rouard.

- La partie médiane de la nappe (entre Turriers et Barles) s'est avancée sur l'écaille de Valavoire en contournant par le sud-est la partie occidentale, autochtone, du redent de Turriers, au prix d'un cisaillement dextre qui a induit une déviation vers l'ouest du mouvement du front de la nappe.

- La partie la plus sud-orientale de la nappe s'est partagée de part et d'autre de la faille du Bès :

. à l'est la nappe a continué à avancer presque librement sur la marge orientale du bassin de Valensole, formant ainsi le lobe de Cousson, qui n'est de ce fait affecté que de plis peu serrés.

. à l'ouest le matériel de la nappe qui est passé par-dessus le domaine de la demi-fenêtre de Barles et avait "bavé" vers l'ouest sur le bassin, constitue le lobe de la Robine. Le front de ce dernier "se plante", à l'emplacement de Digne, dans les matériaux, en cours de rapide accumulation, de la formation de Valensole. Son avancée frontale étant ainsi bloquée, cette portion de la nappe subit une compression qui s'exprime par un plissement de plus en plus serré lorsque l'on progresse de La Robine vers Digne - Courbons.

À l'arrière, le prisme chevauchant constitué par le soubassement anté-triasique de Verdaches commence à exercer sa poussée sur le froncement de plis qui s'était formé, avant le charriage, dans l'autochtone sous-jacent : ce nouveau serrage des plis de l'autochtone a pour effet la formation, entre Verdaches et Esclangon, d'un bombement qui intéresse également les deux lobes de la nappe sus-jacente (et que l'érosion crèvera en donnant la demi-fenêtre de Barles).

Le déplacement du prisme de socle associé à la nappe lui fait alors retrouver sa position avant l'extension et même la dépasser : il forme, en franchissant le rebord occidental de l'ancienne faille extensive, un anticlinal de rampe. C'est sans doute ce pli que l'on abserve dans la coupe du Bès, aux clues de Verdaches [Gidon & Pairis, 1992].


En définitive la nappe de Digne est un charriage assez particulier à deux titres principaux :

(1) sa surface de charriage a fonctionné en décro-chevauchement (elle a avancé en crabe vers le sud) et elle a la signification d'une faille transformante, décalant la limite entre les chaînes subalpines et provençales et inversant leurs sens de déversement relatif ;





Bloc tectonogramme très schématique montrant que le chevauchement de la nappe de Digne peut aussi être assimilé, du fait des coulissements qui l'affectent, à un accident transformant.

 En effet il décale la ligne d'affrontement des domaines dauphinois et provençaux et dissocie les chaînons subalpins occidentaux des Baronnies, (à l'ouest), qui sont déversés vers le nord, de ceux de l'Arc de Castellane (à l'est), qui sont au contraire chevauchants vers le sud.
(figure extraite de la publication n°122, redessinée)

 (2) sa déchirure frontale avait un tracé initial en zigzag : ce second aspect, combiné avec le précédent, a conduit à créer, lors de sa mise en place, des structures annexes complexes (lobes chevauchants).

SCHÉMAS relatifs à l'évolution tectonique au cours du temps

Schéma élémentaire de la mise en place de la nappe de Digne

Aucun des détails structuraux, tels que plis et failles de la nappe et de l'autochtone, ne sont représentés sur ces coupes, délibérément très schématiques. En effet celles-ci sont uniquement destinées à montrer que la tranche charriée, qui repose sur son autochtone par une surface parallèle à ses couches (palier de chevauchement), a été détachée par la formation de deux rampes (surfaces obliques aux couches). Dans la partie charriée la position de ces deux rampes s'est déplacée conjointement,  vis à vis de l'autochtone, depuis l'étape de détachement initial de la nappe (coupe 1), jusqu'à la fin de son étape de charriage miocène (coupe 2).

Dans les niveaux post-triasiques le détachement frontal de la nappe s'est opéré par une "rampe superficielle" qui s'est localisée dans le domaine du maximum de réduction de l'épaisseur du Lias (50 m au lieu de plus de 1000 m dans le domaine dauphinois, plus septentrional). Les ondulations figurées en avant de cette rampe symbolisent la tectonique plicative (aux dépens de plis préexistants, non représentés), qui à préludé au détachement du front de la nappe.

Entre Barles et Digne, sur environ 20 km, la surface de chevauchement a emprunté un "palier" qui suit les niveaux gypsifères du Keuper. Plus au nord elle se raccorde à la "rampe profonde" qui traverse les niveaux anté-Keuper pour s'enfoncer dans leur substratum. Le bord sud de ce substratum charrié s'est avancé jusqu'aux confins nord de la demi-fenêtre de Barles, où il est visible dans l'anticlinal de Verdaches.

 

Coupes très schématiques résumant l'évolution tectonique qui a abouti au charriage de la nappe de Digne.

A - Au Jurassique moyen ;
B - Bombement et érosion du début du Paléogène ;
C - Début du raccourcissement (collapses fini-oligocènes) ;
D - Formation des écailles (et plissement) = Oligocène final - Miocène inférieur ;
 E - Charriage de la nappe proprement dite (Mio-pliocène).

Schéma récapitulatif de l'évolution des structures, en liaison avec la mise en place de la nappe de Digne, dans la demi-fenêtre de Barles.

A/ Dès le début du Miocène (voire même dès la fin de l'Oligocène) un raccourcissement NNE-SSW a créé des plis qui reprennent largement des plis anté-oligocènes. A ce stade l'unité de Chine représente alors le flanc S, encore non renversé, d'un anticlinal qui jouxtait du côté N le synclinal des Sauvans et d'Esparron. Cet ancien "anticlinal de Chine" semble même avoir été le siège de montée diapiriques, au moins dans le secteur d'Astoin.

B/ Au cours du Miocène moyen l'instauration du régime de sédimentation continentale correspond au fait que la marge est du bassin est soulevée par un accident subméridien, décrochevauchant (embryon de la faille du Bès) qui déverse dans le bassin du matériel varié, en grande partie à l'état d'olistolites (Esclangon).

À l'ouest du cours actuel du Bès il y a seulement concentration de la déformation par raccourcissement à la marge N du bassin de Valensole, qui se renverse alors progressivement vers le S en dessinant progressivement le grand synclinal couché d'Auribeau. Le renversement du flanc nord de ce pli anticipe le détachement du front de la nappe, seulement effectif alors au niveau de la tranche profonde de celle-ci (ce n'est encore qu'un chevauchement non émergent).

C/ Au Miocène supérieur la demi-fenêtre de Barles a été débordée par l'avancée du front de la nappe qui glisse dans la dépression du bassin, sur les conglomérats inférieurs de la formation de Valensole, après avoir franchi le reliefs structuraux créés sur la bordure nord du bassin au cours des étapes antérieures.

D/ Tardivement, lors des derniers mouvements, vraisemblablement d'âge fini-pliocène, le prisme délimité par la rampe profonde (constitué par l'essentiel du Trias, le Houiller et sans doute du socle cristallin) atteint Barles et bute sur le méga-crochon de l'unité de Chine qu'il repousse devant lui, provoquant une accentuation du serrage de l'autochtone de la demi-fenêtre de Barles (flèches horizontales). Corrélativement, a lieu un surhaussement de la voûte de la demi-fenêtre (flèche verticale). C'est sans doute alors que se forme aussi (au nord d'Esclangon) l'anticlinal du Martelet (non représenté en figure D), qui replisse les accidents de la marge septentrionale du bassin de Valensole et qui confère à la surface de chevauchement de la nappe de Digne un pendage accentué vers le sud (ce qui est à l'origine de la fermeture aval de la demi-fenêtre de Barles).

Les doubles demi-flèches symbolisent le cisaillement générateur des plis rétro déversés qui affectent le Lias de la nappe, à l'aplomb du front de la rampe profonde, par suite de la surélévation de la partie de la nappe qui recouvrait le bombement de la demi-fenêtre.


Structure géologique des alentours de l'agglomération de Digne

La ville de Digne détient une position géologique stratégique, de gardienne de l'entrée dans les grandes Alpes du sud. En effet elle est implantée, le long du cours de la Bléone, à l'endroit où ce dernier franchit la limite structurale majeure qui sépare le domaine autochtone du bassin tertiaire de Valensole, au sud-ouest, et le domaine charrié de la nappe de Digne, au nord-est.

En fait l'étude des abords de la ville révèle :

- d'une part que le domaine de la nappe se subdivise lui-même en deux ensembles assez différents (le lobe de La Robine et celui de Cousson)

- d'autre part que le schéma d'un simple chevauchement de la nappe sur son avant-pays est insuffisant pour expliquer tous les aspects des rapports entre ces deux domaines.

Ces complications paraissent liées au fait que l'avancée du bord sud-occidental de la nappe de Digne, dans ce secteur, s'est fait pendant qu'avait encore lieu le colmatage alluvial néogène du bassin de Valensole.
 

D'après une image extraite de "google-earth"
Les abords septentrionaux de la ville de Digne
Crêtes du lobe de la Robine et confluant Bès-Bléone.
f.B = faille du Bès ; ac.C = accident de Courbons.



Extrait de la publication n°132
Carte structurale schématique des abords septentrionaux de Digne.

 

 Extrait de la publication n°138

Carte structurale très schématique des environs de Digne

 On note (surtout sur la carte de gauche) la différence de longueur d'onde des plis, de part et d'autre de la faille du Bès et la torsion sigmoïde des plis (typique d'un cisaillement dextre) dans le lobe de La Robine. Aux abords mêmes de Digne le tracé de la faille du Bès subit une déviation en baïonnette dans le secteur où elle s'engage dans la bande triasique anticlinale de Digne.

Sur la carte de gauche on a délibérément omis les plis précoces, synsédimentaires du Miocène (synclinaux d'Esclangon et d'Auribeau)

1 - La bande triasique de Digne : ses rapports avec la faille du Bès

Sur plusieurs kilomètres au nord de Digne, le lit de la Bléone suit une bande de terrains triasiques orientée presque N-S. Bien que les calcaires du Lias affleurent symétriquement et avec des pendages opposés, sur l'une et l'autre des deux rives, il n'est pas possible de considérer que cette "bande triasique de Digne" représente simplement le cœur d'un anticlinal. Il y a, à cela, plusieurs raisons :

1.1         - L'existence d'un tel pli est une interprétation non fondée (et d'ailleurs l'orientation N-S qui serait la sienne apparaît incongrue par rapport au canevas général de ce secteur, lequel est régi par des plis orientés NW-SE). En effet, outre que la charnière de ce pli supposé n'est nulle part visible, on constate qu'aucun pli N-S ne prolonge cette structure, ni vers le nord, au-delà de la localité de La Molière, ni vers le sud, au-delà de Digne :

- Au nord, la bande triasique se connecte au cœur de l'anticlinal de la Bigue, orienté NW-SE, par le jeu d'une torsion du flanc sud-ouest de ce dernier, qui finit d'ailleurs par se biseauter avant d'atteindre le cours de la Bléone.


- Au sud de Digne, la bande triasique s'engage dans les collines à l'ouest de Saint-Jean et s'y montre limitée, du côté ouest, par une dislocation très redressée. Celle-ci tranche en biseau les deux flancs du synclinal de Caramantran (dont le cœur liasique arme la cluse en amont de laquelle est construite l'ancienne ville de Digne), puis se poursuit jusqu'au front de la nappe, qu'elle atteint aux Bâties de Cousson.


1.2         - La bande triasique de Digne sépare deux domaines qui apparaissent relativement étrangers l'un à l'autre tant du point de vue stratigraphique que structural.

 

En effet la succession liasique subit une réduction qui s'accentue beaucoup plus à l'ouest, dans les chaînons situés au sud de La Bigue, notamment aux abords de Courbons, qu'à l'est où la série reste relativement puissante dans la montagne de Cousson bien que celle-ci soit plus méridionale (il faut aller jusque dans la vallée de l'Asse pour observer une réduction de série comparable à celle qui affecte le Lias du front d'érosion de la nappe à Courbons).
D'autre part, du côté oriental, aucun pli n'affecte la succession des couches jurassiques, depuis le confluent Bès-Bléone (où passe le très ample synclinal de Marcoux) jusqu'aux Bâties de Cousson, alors que, du côté occidental on voit se succéder au moins quatre anticlinaux et synclinaux successifs (sans compter le synclinal de Caramantran, dont la position par rapport à celui de la Clapière peut être discutée).

Il est clair qu'une telle situation implique une dissociation de la nappe de Digne en deux compartiments qui se sont déformés de façon indépendante, l'oriental subissant un moindre raccourcissement en même temps que son front s'est déplacé plus loin vers le sud et l'occidental s'étant raccourci par un plissement dont le serrage s'accroît au fur et à mesure que l'on s'y rapproche du front d'érosion de la nappe. La constatation de cette partition tectonique a conduit à distinguer, dans la nappe, deux "lobes" charriés, celui de la Robine à l'ouest et celui de Cousson, à l'est.
 
1.3         - La bande triasique de Digne prolonge, vers le sud, la faille du Bès.

 Cette grande cassure, qui a déterminé le tracé de la basse vallée du Bès, court à faible hauteur au-dessus du lit, sur sa rive gauche, en sectionnant le synclinal de La Robine et en lui juxtaposant, du côté est, la série monoclinale de la crête de Liman (qui représente le flanc nord du synclinal de Marcoux). Or les similitudes entre ces deux plis et notamment leur géométrie, également très ouverte, suggèrent qu'ils se prolongeaient l'un l'autre avant que la faille ne les décale, dans le sens dextre, de 3 kilomètres. Un tel décalage dextre intervient nécessairement à la latitude de la Molière ; il doit même y être aggravé par le raccourcissement supplémentaire infligé au compartiment occidental, du fait du plissement plus serré qui y règne.

Ce rejet dextre semble se conserver jusqu'au sud de Digne car, aux Bâties de Cousson, c'est-à-dire à l'endroit même où aboutit la bande triasique de Digne, on voit le tracé du front de la nappe s'infléchir pour avancer de 3 kilomètres en direction du sud-ouest, en tranchant d'ailleurs les axes de l'anticlinal et du synclinal de Cousson. On note en outre que, dans le même temps, les rapports entre le Mésozoïque de la nappe et le Tertiaire autochtone se modifient pour reprendre, à l'aplomb du sommet de Cousson, un caractère de franc chevauchement.

En définitive la bande triasique de Digne apparaît donc comme un couloir structural oblique aux plis, qui a été le siège d'un cisaillement horizontal dextre et que l'on peut assimiler à la faille du Bès. Les dissemblances entre les comportements tectoniques des deux compartiments de la partie frontale de la nappe de Digne qu'elle sépare, conduisent à voir dans cette faille du Bès sensu lato une déchirure qui les a dissociés et qui leur a infligé un jeu relatif dextre, à l'occasion du déplacement de la tranche de terrains triasico-jurassiques qui constitue cette nappe.

2 - Le front d'érosion de la nappe de Digne à l'ouest de la faille du Bès

Contrairement à ce qui se passe à l'est de la faille du Bès (dans la montagne de Cousson), on n’observe pas ici le franc chevauchement des terrains triasico-liasiques, sur les formations tertiaires qu'entaille la Bléone au sud-ouest de Digne.

 

2.1 - Au sud-est de la Bléone, entre le quartier des Chauchets et les Bâties de Cousson, les conglomérats de la formation de Valensole reposent sur (et non sous) les terrains triasico-liasiques, qu'ils encroûtent et remanient à leur base. Des conglomérats fluviatiles, assimilables aux couches ultimes de la formation, ravinent le Lias et affleurent en poches sur le revers oriental de ces collines, c'est-à-dire dans le domaine de la nappe de Digne lui-même.

On doit donc admettre que les étapes les plus tardives du remplissage du bassin tertiaire de Valensole sont intervenues alors que le front de la nappe avait déjà atteint, dans son déplacement vers le sud, la latitude de Digne et que les apports fluviatiles de matériel conglomératique ont alors débordé en onlap par-dessus ce front de nappe.

En outre la disposition des couches liasiques présente un caractère a priori paradoxal puisqu'elles sont ployées en un synclinal qui est d'autant plus déversé vers le nord-est que l'on s'élève dans les pentes. Cette observation suggère qu'il est intervenu un cisaillement de vergence nord-est à l'interface Lias de la nappe - Tertiaire du bassin, d'autant que les plis affectant les terrains de ce dernier en marge de cet interface n'ont également pas un plan axial déversé vers le sud-ouest comme on l'attendrait s'ils étaient associés au chevauchement de la nappe sur la formation de Valensole. On a proposé de l'interpréter par des mouvements tardifs, postérieurs à l'étape majeure, par lesquels la nappe aurait poursuivi quelque peu son mouvement vers l'ouest, en s'engageant sous sa couverture de Néogène récent : un tel "sous-charriage" peut en effet rendre compte du rétro-déversement des plis à l'interface nappe-Néogène).

2.2 - Au nord-ouest de la Bléone, aux abords orientaux et septentrionaux de Courbons, le contact entre l'autochtone et la nappe (marge sud-ouest du lobe de la Robine) présente, à divers égard, un caractère d'ambiguïté. Celui-ci est lié pour l'essentiel à son tracé (notamment par rapport aux plis), à son pendage et aux relations entre les couches du Mésozoïque et du Tertiaire, qu'il est censé séparer par chevauchement dans les publications de nombre d'auteurs.

2.2.1 - Le chevauchement y est peu tangentiel.

2.2.1.1 - Le tracé presque rectiligne du contact nappe/autochtone, orienté en moyenne N160, suggère qu'il a un fort pendage. De fait, les entailles d'érosion les plus profondes, telle celle du ravin de la Bègue, permettent de voir que les couches de conglomérats de la formation de Valensole, bien que peu perturbées jusqu'à une distance très faible du front d'érosion de la nappe, ne s'engagent cependant pas franchement sous elle.

Elles sont tranchées, selon un angle ouvert de plus de 45°, par un couloir tectonique redressé à plus de 50°. À son approche elles sont rebroussées ou froissées, sur une centaine de mètres, par des plis décamétriques à hectométriques à plans axiaux fortement pentus vers l'E.

2.2.1.2 - Ce couloir est souligné par une bande de Terres Noires de largeur hectométrique et beaucoup des plans de fractures observables en bordure de cette bande sont sub-verticaux (notamment au Rocher de Sainte-Madeleine, à l'E de Thoard). Enfin, à la latitude de Thoard on constate qu'il sectionne en biseau les axes d'un important faisceau de plis NNW-SSE qui affectent la formation de Valensole, au lieu de les faire s'engager sous le matériel charrié.

2.2.1.3 - Les plis de la nappe, d'orientation moins méridienne que ce couloir tectonique, viennent aussi, à tour de rôle, du S au N, buter contre lui en biais. Ces plis, ainsi sectionnés en oblique, sont en outre débités, sur une frange large d'environ 2 km en marge E du couloir de cisaillement, par des failles de décrochement dextres N 170 à N 180 qui se branchent sur ce dernier. Il s'agit sans doute, comme pour les quelques autres petits décrochements qui affectent la marge du Tertiaire autochtone, de failles de Riedels R attestant d'une composante de coulissement dextre.

Au total ce couloir de cisaillement est donc assez peu chevauchant et son fort pendage suggère une forte composante de jeu coulissant dextre.

La marge W de la partie affleurante de la nappe bute donc ici contre les conglomérats de Valensole et les a comprimés latéralement, au lieu de les chevaucher. L'avancée horizontale de la nappe vers le SW devait donc s'en trouver contrariée et devait faire place à du coulissement vers le S. Ce blocage du charriage explique que la marge du lobe de La Robine ait subi un plissement intense, avec des plis dont le taux de fermeture croît aux approches du front. Plus au sud, au droit de Courbons, le contact est plus franchement chevauchant mais reste fortement pentu.

2.2.2 - Le front de la nappe a été recouvert par la formation de Valensole.

2.2.2.1 - Dans les ravins particulièrement profonds situés au N de Courbons, (ravin de la Bègue), les conglomérats de Valensole (qui se rebroussent à la verticale le long de la bordure W du lobe de la Robine, cf ci-dessus) reposent en accordance sur des molasses marines miocènes. Or il s'avère que ces dernières reposent stratigraphiquement sur l'Oligocène, lui-même transgressif sur le Tithonique puis sur des Terres Noires. Enfin ces dernières se poursuivent en continu, vers l'est, par celles du cœur du synclinal de Foussan, que dessinent le Dogger et le Lias du lobe de La Robine.

Cette disposition démontre que des terrains qui appartiennent à la nappe s'enfoncent encore, vers l'ouest, sous le Miocène du bassin de Valensole, de sorte que le véritable front de la nappe est caché sous les termes, plus élevés, de la formation de Valensole. Le contact tectonique - peu chevauchant, comme on l'a vu - par lequel le mésozoïque de la nappe s'affronte ici avec cette formation n'est donc effectivement pas la véritable surface de charriage de la nappe. Il ne peut s'agir que d'un accident tardif, apparu en arrière du front de nappe, après le cachetage de ce dernier (observable en rive gauche de la Bléone, cf supra). On peut le désigner du nom d'accident de Courbons.

2.2.2.2 - Une particularité de la marge W du lobe de La Robine est la présence de lambeaux de matériel mésozoïque, notamment Tithonique et Crétacé inférieur, au sommet de la formation de Valensole (alors que ce matériel est absent de la nappe, dans son état actuel d'érosion). C'est notamment sur un bloc hectométrique de Tithonique qu'est construit le village de Courbons. À ces blocs sont aussi associés des molasses miocènes qui sont parfois, comme au Rocher de Najon, en contact stratigraphique avec eux.

Au sud de Courbons ces lambeaux ont un caractère franc d'olistolites disséminés dans les conglomérats de Valensole. Mais le long de l'accident de Courbons ils s'organisent en un alignement de lames, disposées en chapelet, qui sont toujours en position renversée et apparaissent comme des lambeaux d'une succession continue formant le flanc inverse d'un anticlinal de la Clapière. Ils finissent d'ailleurs par se raccorder progressivement, vers nord, aux affleurements du flanc ouest du synclinal de la Bégue qui s'engagent, à l'endroit, avec leur Miocène transgressif, sous les cailloutis de la formation de Valensole.

Ces lambeaux apparaissent donc comme les éléments, tectoniquement dilacérés, d'un crochon créé, aux dépens de son autochtone relatif, par le chevauchement de l'accident de Courbons, bien plus que comme de véritables olistolites. Cette disposition indique que l'accident de Courbons n'est pas une surface de chevauchement par laquelle la nappe de Digne se serait avancée "à plat" sur le remplissage du bassin de Valensole. Au contraire cet accident a remonté du matériel qui avait, précédemment, été recouvert par les dépôts de la formation de Valensole (bien que ce matériel appartienne, pour des raisons de quasi continuité des affleurements, à la partie frontale du lobe de La Robine, lui-même indiscutablement relié à la nappe de Digne).

D'autre part, ces faits conduisent à penser que tous les copeaux post-liasiques du sommet de la formation de Valensole sont originaires de la tranche supérieure de la succession de la nappe, qui devait donc être encore présente, au-dessus du Lias, lors du charriage principal (alors que maintenant l'érosion en a enlevé toutes traces en arrière du front de la nappe. Les affleurements du fond de ravin de la Bégue ont simplement été recouverts par l'avancée en onlap des dépôts de la bordure du bassin de Valensole ; ceux des lambeaux du nord de Courbons ont été incorporés à la zone cisaillée de l'accident de Courbons lors des mouvements tardifs de chevauchement induits par le blocage du front véritable de la nappe, après son cachetage par le Néogène ; les vrais olistolites du sud de Courbons, enfin, ont dû glisser depuis les parties encore émergées de la nappe de Digne, en marge orientale du bassin, et s'intercaler dans les sédiments en cours de dépôt (puis être éventuellement repris tectoniquement en copeaux, le long de l'accident de Courbons).

2.2.2.3 - Un problème plus difficile est posé par la klippe de Pié Gros, formée de Sénonien, qui repose sur la formation de Valensole, en avant du front du lobe de la Robine, et s'appuie vers l'est contre l'accident de Courbons 1 km à l'E de Thoard.

Cette klippe présente une nette analogie avec celle de l'Aubrespin, de la région de Turriers, car l'une et l'autre sont des lambeaux isolés de couches néocrétacées posés à la marge de la nappe, en avant de son front.
Ces lambeaux exotiques ne peuvent pas avoir été arrachés à l'avant-pays de la nappe, car l'on n'y trouve pas de couches néocrétacées qui aient été épargnées par l'érosion anténummulitique, et ne peuvent donc provenir que du domaine de la nappe. Mais il faut sans doute chercher leur patrie dans des secteurs assez orientaux de ce domaine, puisqu'il semble que sa partie frontale de la nappe de Digne ait aussi été érodée, avant le Nummulitique, jusqu'au niveau du Jurassique supérieur (en effet, à l'est de Digne la ligne suivant laquelle réapparait du Sénonien sous le Nummulitique correspond pratiquement à l'axe, N-S, du synclinal de Barrême).
Ces lambeaux ont donc probablement une origine analogue à celle des olistolites de Courbons, c'est-à-dire un glissement par décoiffement de la partie haute de la tranche charriée, mais ils ont probablement fait un plus grand chemin. La longueur de ce trajet suppose que se soit développé au dos de la nappe de vastes glissements de terrain sur une pente dirigée vers le front de la nappe. Cette déclivité vers l'avant pourrait correspondre au flanc sud-ouest d'un "pli de rampe frontal"* : dans le cas qui nous intéresse un tel pli est très probable et il devait être effectivement assez vaste, en raison de l'épaisseur de la tranche de roches charriée (cf fig., coupe 2).

3/ Essai de reconstitution des étapes de la mise en place de la nappe aux environs de Digne

En définitive on peut proposer l'enchaînement de schémas suivant, qui essaie de tenir compte de toutes les données exposées ci-dessus :

       

Evolution tectonosédimentaire de la région de Digne.
(Secteur au nord-ouest de la ville)

       1   Première étape de l'arrivée du front de la nappe de Digne  dans le secteur de la ville de Digne (noter la déclivité frontale, propice au détachement de paquets glissés, futurs olistolites).

2- Séparation des deux lobes de la nappe par le jeu en coulissement (oblique à la direction de déplacement de la nappe) de la faille du Bès. L'accumulation de sédiments, qui se poursuit dans le bassin de Valensole, bloque et cachète le véritable front de la nappe.
3 - Le lobe de Cousson poursuit son avancée, fronce latéralement le lobe de la Robine dont la partie frontale est ennoyée sous les sédiments du bassin (apparition, dans cette dernière, de structures rétrodéversées). Au nord-ouest de Digne le lobe de la Robine repart en chevauchement par le jeu de l'accident de Courbons.

4 - L'avancée de la nappe est terminée : le remplissage sédimentaire   progresse vers l'amont en ennoyant, aux abords sud de Digne, les parties basses du lobe de la Robine (dépôt des cailloutis des Fontaines, etc...)

 Pour simplifier le schéma, deux groupes de déformations n'ont pas été représentés : le cisaillement dextre des plis du lobe de La Robine et les plis NW-SE du Néogène autochtone.

FIGURES ANNEXES
(Appelées par diverses pages)



Coupe synthétique schématique des abords de Digne

Schéma regroupant les données de diverses transversales, pour montrer comment on peut interpréter leurs relations.

La partie basse de la coupe (niveau "Sud de Digne") correspond aux structures visibles en rive gauche de la Bléone (Caramantran, Basses Bâties). La partie haute (niveau "Nord de Digne") schématise la disposition observable en rive droite. La coupe est sensiblement orientée selon la direction de déplacement de la nappe, donc oblique à la faille du Bès.

La torsion des plans axiaux des plis du lobe de La Robine est interprétée comme le résultat d'un emboutissement, par le prisme de matériel néogène autochtone qui scelle le véritable front de la nappe, lors d'une réactivation tardive de la surface de charriage. La compression tardive qui en est responsable est également à l'origine du chevauchement mineur de l'accident de Courbons.

Le passage latéral des cailloutis à matériel exotique à ceux à matériel local en s'approchant du front d'érosion actuel de la nappe s'accorde avec l'interprétation, représentée ici, d'une sédimentation de la formation de Valensole en onlap sur la partie frontale de la nappe.

Les déplacements de masses rocheuses aboutissant à la disposition ici schématisée sont illustrés dans une autre figure.

 



Coupe du front d'érosion de la nappe de Digne, en marge sud-ouest du lobe de la Robine.

Cette coupe fait la synthèse des observations qu'offrent les rives nord et sud du ravin de la Bègue.

L'accident de Courbons (acc.C) y apparaît comme un couloir de faille, à fort pendage, qui s'amortit dans le substratum mésozoïque du Tertiaire autochtone, au sein d'un rebroussement de la marge de ce dernier, appelé ici le "synclinal de la Bègue" (s.B) : il ne peut donc pas être considéré comme la surface de chevauchement de la nappe de Digne et, vis-à-vis de cette dernière, ne représente qu'une cassure relativement mineure.
Le sommet de La Gomberge se situe peu au N de celui du Martignon et il est constitué par le Carixien du flanc oriental de l'anticlinal du Martignon (a.M). L'anticlinal de la Clapière (s.C) et le synclinal du Foussan (s.F) apparaissent ici comme des replis du flanc oriental du synclinal de la Bègue, dont l'accident de Courbons tranche d'ailleurs les charnières en biseau.

(Pour la nomenclature des plis voir la carte)

Cette page reprend, en le retouchant, l'essentiel du contenu des publications n° 132, 138 ; pour des développements complémentaires, voir aussi la publication n° 156


 
Carte géologique simplifiée des environs de Digne

Redessinée sur la base de la carte géologique d'ensemble des Alpes occidentales, du Léman à Digne, au 1/250.000°", par M.Gidon (1977), publication n° 074 - catalogue des autres cartes de la section Gap-Digne
 

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